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RETOURNER LE MONDE
Il s’agit de réfléchir à une pratique artistique qui puisse prendre en compte les éléments tirés des principes de l’écosophie.
Il s’agit de considérer que l’artiste dans le modèle actuel existant ne trouve plus sa place en tant que créateur, d’un point de vue éthique et philosophique.
– Dans le processus de production
– Dans le processus de diffusion
– Dans le processus de médiation/représentation/contribution de ses projets/oeuvres face à ses publics.
La chaîne classique actuelle de production/diffusion passe par
– l’appel à projet
– la commande publique
– l’invitation à participer à des festivals, expos collectives et dans un circuit économique qui nécessite, pour permettre de « vivre » de son art, de devoir passer par le circuit des galeries et/ou entreprise privées de production/diffusion.
Pris en étau dans les contraintes du public et les dérives du modèle ultra libéral du privé, l’artiste et le public ne trouvent plus leur compte.
Que serait un acte artistique engagé dans un modèle qui va de la réflexion à la diffusion et, dans une vue globale des activités humaines, qui ne peux se passer des questions de l’écologie, de l’éthique et de modèles économiques « différents de ceux existants » ?
Car il s’agit bien de redéfinir la position du créateur, ici et maintenant et de façon urgente.
Ma pratique passe par la formidable capacité du réseau internet à court-circuiter les modèles de pouvoir existants, qu’ils soient ceux de la création, de la production et de la diffusion.
Ces nouveaux modèles se propagent dans différentes activité humaines qui participent à la création d’une nouvelle notion du collectif et même à la ré-definition de ce que serait aujourd’hui la notion d’information et de circulation de l’information.(je ne vais pas développer cela ici).
De l’open source logiciel aux communautés connectées auto gérées (monnaies alternatives, échanges de biens, de pratiques et de savoirs, do it yourself, fablab, redistribution de la connaissance…), le réseau propage ces idées écosophiques bien plus loin et plus profond dans la société que ne le fait via le discours des parties politiques classiques.
Parce qu’il n’ait de l’intérieur, du milieu, et qu’il se propage via des micro collectifs et de façon intergénérationnel, parce qu’il ne se propage plus du tout par les médias classiques de diffusion, qu’il dépasse la notion de classe sociale et la notion du travail, l’activisme contemporain en réseau est le vecteur formidable de ces changements.
Cet activisme considère l’activité plutôt que le travail, le partage de connaissances multidisciplinaires plutôt que l’apprentissage hiérarchique et discriminé, la prise de conscience locale et globale plutôt que la consommation et le consumérisme pavlovien.
Ici, l’artiste, en tant que citoyen comme les autres, reçoit, agit et transforme, propose et propage ; l’artiste à 6 mois d’avance.
Ce qui est peu ! Et qui doit nous nous pousser à agir de façon urgente face à la situation.
Comment les artistes peuvent agir pour, une fois ce constat fait, transformer à leur niveau, quelques segments de cette grande aberration sociétale hérité du modèle économique et industriel du 20 ème siècle ?
Car il semble bien que deux mondes vivent l’un dans l’autre, d’un bout à l’autre de la planète et que l’ancien monde qui pousse aujourd’hui à toutes les excroissances totalitaires marque sa fin prochaine : fin des pouvoirs établis, fin des modèles concentrationnaire existants, et fin des modèles de vie que nous refusons de plus en plus malgré la pauvreté croissante physique et intellectuelle que ces modèles tentent de façonner et de propager sous couvert de l’innovation technologique.
Ce constat fait et ressenti par chacun (précarité, maladie, violence, désespoir, impuissance à agir), comment les idées de l’ecosophie peuvent se propager chez les artistes, dans leurs pratiques et dans leurs capacités à « retourner » le monde ?
De façon très pragmatique, personnellement, je crois beaucoup à l’invention d’outils en réseau qui utilisent les technologies existantes.
J’ai crée en 1998 la première webtv sur l’art contemporain, faite de A à Z par les artistes et en 1999, le premier portail de webtvs libre (teleweb.org) , court-circuitant ainsi les systèmes de production et diffusion classique des pouvoirs existants.
Je voudrais donc proposer de façon très succinctes quelques idées qui pourraient être appliqués pour changer le modèle encadrant l’art d’aujourd’hui :
1) Site collaboratif de résidence : Maison d’Hôte Artistique.
Chaque citoyen ayant un espace disponible en résidence principal ou un espace en résidence secondaire (non utilisé la plupart du temps) le propose à un artiste sur une durée définie. L’échange passe, par exemple, par la donation de la part de l’artiste d’une œuvre ou d’un texte fabriqué pendant la résidence.
Il s’agit ici de mettre en corrélation les besoins d’espaces naturels des artistes leur permettant de réfléchir et de travailler et l’envie du public de participer à l’acte de création de façon non monétaire. C’est une forme de mécénat local et à échelle humaine.
Le réseau est très important. Il s’agit de faire un site web autonome qui permet aux hébergeurs de présenter leurs résidences (lieu, disponibilités, capacité d’hébergement…) et aux artistes de présenter leur travail et de proposer leur candidature.
2) Site de partage et d’échange.
Quelle est la valeur d’une œuvre ? Comment s’inscrit elle-dans le paysage économique ?
Se pourrait-il qu’au lieu de transiter par les flux financiers, une œuvre puisse être simplement le vecteur d’un échange.
On entend par échange pas seulement celui effectué entre deux objets, mais un échange au sens large, un échange de temps, de connaissances d’expériences, …
Il faudrait bien réfléchir à savoir comment mettre en place ce projet, au risque que ce site web ne devienne pas un « auboncoin » de l’art, qu’il soit plutôt l’endroit d’expérimentations d’une autre forme de circulation et d’échange de la valeur « art ».
Le principe est donc de créer les conditions d’échanges qui permettent pour les artistes de vivre, créer, rechercher avec le moins de contraintes financières possible.
Par exemple, je me vois bien échanger une œuvre contre des repas ou la disposition d’un atelier pendant un temps déterminé.
Propositions suite colloque « l’Acte artistique – de l’écosophie à une économie de la contribution »,@ Château de Chevigny – Millery 21140
Yann AUCOMPTE (Paris – France), Roberto BARBANTI (Paris – France), Serge Olivier FOKOUA (Yaoundé – Cameroun), David GUEZ (Montreuil – France), Gilles MALATRAY (Lyon – France), Valérie de SAINT-DO (Paris – France), Jean VOGUET (Millery – France)
David Guez – 6 juin 2014