-- Téléchargez La Sainte et le Coyote (INTERLUDE) en PDF --
Angèle gambade dans sa tête et Coyote dans la steppe. La vitesse de l’un n’existe pas sans celle de l’autre. Ils se font de l’écho. L’amour est le mur qui les arrête, qui met fin à l’errance de leur voix dans le désert.
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Angèle s’assied et regarde la mer. Elle se dit que depuis la bonne hauteur on devrait y voir le reflet de Dieu.
Angèle cherche la bonne hauteur Coyote la bonne distance. En chinois une chose se dit est/ouest, un paysage montagne/rivière. Coyote ne comprend pas la hauteur, il ne fait que passer. Angèle ne comprend pas la distance elle ne sait qu’être là.
– Je ne mesure pas je saute et je vois bien où j’arrive.
– Je ne vois rien qui ne passe d’abord par les étoiles.
– Je marche sur des chemins qui ne vont nulle part.
– Les voix m’emportent comme un rapace sa proie.
– Je compte les moutons pour oublier combien ils sont.
– Je monte comme on s’enfonce dans le sol.
– Dis-moi où tu es je t’attendrai de l’autre côté.
– J’ai dans mes poches du sable de tes sandales.
– J’ai dans les yeux le kaléidoscope de tes cabrioles!
– J’ai dans la tête ta voix comme les cloches à midi!
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A quel jeu jouer? Quand le vide attire le plein. Quand c’est le retrait de son désir qui attire celui de l’autre.
En penchant la tête sur le côté Coyote voit le corps d’Angèle, silhouette étirée par le contact du ciel et de la terre.
L’horizon scelle l’impossibilité pour eux de s’unir et ouvre aux autres le ventre rond du monde. L’amour est le retrait, quand le ciel se retire de la terre et crée l’espace. La nuit est leur seul espoir de se toucher.
Angèle sait que le premier contact de leurs peaux changera immédiatement la géographie de l’univers, chaque distance sera mesurée par l’éloignement de leurs corps, chaque lieu sera celui de leur absence, chaque espace celui de leur souffle.
Coyote échappe sans cesse au sourire et aux mains d’Angèle.
Angèle empêche le Coyote de crée en elle le manque où il pourrait s’installer.
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Les émotions passent dans les yeux de Coyote comme les reflets du ciel et des nuages sur l’eau. Lentement poussées par le vent aucune ne s’installe vraiment. Elles apparaissent et disparaissent doucement, passent d’une intensité à l’autre. Sombre, éclatant, triste, furieux, joyeux, soucieux.
Coyote s’en va dès qu’il a atteint sa présence, il passe par passions comme par une porte. Angèle, elle, veut vivre dans tous ses états en même temps, elle sature, surexpose et superpose ses sentiments jusqu’à ne plus entendre que le bruit blanc du silence de Dieu!.
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Prier et pleurer, vivre et écrire.
L’eau monte dans le corps d’Angèle comme les océans sous l’effet de la lune et ses prières traversent le monde comme les ondes traversent la terre. Angèle ne prie pas, les battements de son coeur lui échappent, elle ferme les yeux comme on ouvre la bouche. Elle ne prie pas, elle se précède dans le temps et dans l’espace, elle fait une place à d’autres mondes possibles.
Angèle pleure comme une loupe entre hier et demain, entre ici et ailleurs, comme un village englouti. Elle pleure comme on emprunte le regard d’un autre.
« C’est pas mes larmes Coyote c’est les lunettes de Dieu,! »
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Coyote a fini par pleurer, il a fini par laisser le monde plonger dans son regard et y couler doucement en se reflétant au soleil. De l’eau avec de la peau, le monde traverse maintenant le corps de Coyote comme un test de balistique.
Coyote pleure comme des paupières ouvrent la piscine, pour l’air frais, pour baigner les enfants, prendre des cocktails, faire du sous l’eau.
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Coyote écrit avec les pieds, il danse entre nous, fait des vers dont chacun est la rime.
Coyote le chorégraphe écrit avec les hommes en cunéiforme.
Coyote écrit avec tout ce qui lui tombe sous la main, avec les autres la tête à l’envers, avec les arbres comme des effaceurs,
Coyote traine des pieds et des vallées se creusent, il caresse le sol et des plaines s’étendent.
Coyote écrit sur le visage des autres, la peur ou la joie, et dans leur coeur des souvenirs.
Coyote est l’artisan des rencontres, il sculpte l’espace entre nous.
Coyote est l’auteur de tout ce qu’il voit, il écrit son nom sur tous les murs, il signe le monde comme un tableau.
Coyote lit les odeurs, y voit des paysages, y entend des chansons.
Coyote l’alchimiste écrit avec le tableau périodique des éléments. Coyote est le typographe de la matière.