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02/07/ 2020 – La Cour européenne des droits de l’Homme condamne la France pour son manque d’assistance aux demandeurs d’asile, contraints de vivre «dans la rue» et «privés de moyens de subsistance», constitutif d’un traitement inhumain et dégradant contraire à l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales.
10/07/2020 – Kabella Doni-Neckson se noie dans le canal Saint-Denis à proximité du campement insalubre d’Aubervilliers qui s’étend de jour en jour.
20/07/2020
Dans la pénombre, il y a ce personnage de La casa de papel et son masque qui font face au camp de migrants.
Un jeune s’approche de moi et engage la conversation en anglais. Il me dit qu’il s’appelle Ahmad, qu’il a 20 ans, qu’il a quitté son pays d’origine l’Afghanistan avec cinq amis. L’un d’eux se trouve à ses côtés ce matin, il a 23 ans, un autre serait en Bosnie et un autre encore en Suisse. Avant d’arriver en France, il a traversé dix pays à pieds dont l’Italie, la Croatie, la Bosnie. En Croatie, il a été arrêté par la police et expulsé en Bosnie. La situation a été très difficile en particulier avec la police croate qui est très dangereuse, l’a battu et roué de coups de pied. Il est arrivé à Paris depuis cinq jours et estime qu’il n’a pas rencontré trop de soucis dans le camp d’Aubervilliers. Il n’a plus son passeport. Concernant l’évacuation il ignore où la police va l’emmener, ni comment les choses vont se dérouler. Ses parents sont en Afghanistan. Cela fait plus de deux ans qu’il n’a plus de contact avec eux. Il est l’ainé de la famille, il a deux frères et trois soeurs.
“La milice des talibans est venue me chercher et m’a dit “Viens avec nous, viens faire le jihad !” Les gens, il y en a qui sont bons, d’autres mauvais. Dans la police aussi, il y en a qui sont bien et d’autres non. Mais cette police des Talibans, c’est vraiment un gros problème en Afghanistan. Ici en France la police ça va. Mais la police ne s’occupe pas de la nourriture, de l’hébergement. Le problème c’est la nourriture, l’accueil. Sinon, le camp ça va. J’ai l’asile ici.”
Il n’est plus possible de traverser le pont. Tout le périmètre est bouclé. L’évacuation du camp est en cours et s’apparente à une chorégraphie rigoureusement orchestrée. Le personnel et les moyens mobilisés sont impressionnants, difficile à évaluer, peut être un policier pour 4 ou 5 migrants.
Plusieurs centaines de personnes attendent sur les trottoirs, sous le calme apparant certains expriment une inquiétude qui se lit sur de nombreux visages. Un migrant interpelle un policier :
“Vous ne nous dites rien! Vous nous faites venir jusqu’ici et personne ne nous dit rien, ça n’est pas bon!”
Jeanne travaille pour l’observatoire parisien des libertés publiques de la ligue des droits de l’homme, et surveille les interventions policières dans le cadre des manifestations à Paris. Aubervilliers n’est pas son secteur habituel, elle est venue ce matin retrouver six autres bénévoles de la Ligue des droits de l’homme répartis en deux groupes de part et d’autre du pont où se déroule l’évacuation du camp.
Les observations recueillies seront exploitées dans le cadre des travaux de l’observatoire des libertés publiques qui a déjà pointé la responsabilité de l’Etat dans la situation d’extrême détresse des exilés. Jeanne effectue ses observations et transmets des informations à ses collègues.
“Tout à l’heure j’ai interpellé deux personnes qui m’ont dit qu’elles allaient dans les bus pour accompagner les gens. Les bus sont arrivés. Certains plus confortables que d’autres, certains bus opacifiés, des bus reconvertis semblables aux bus sociaux utilisés pour les SDF.”
Le personnel de France horizon, l’une des structures d’hébergement d’urgence accompagne les personnes qui montent dans les cars. Jeanne veille à ce que des masques soient distribués à ceux qui n’en ont pas.
Elle signale aux membres de l’association Solidarité Migrants Wilson que la ligne téléphonique annoncée pour permettre aux exilés montant dans les bus d’informer de l’évolution de leur situation ne semble pas être opérationnelle. Une bénévole explique que cette ligne a été actée lors de la dernière réunion du collectif et vient tout juste d’être ouverte, personne ne sait avec certitude qui a en main le téléphone, elle propose que chacun transmette son numéro à deux ou trois personnes montant dans les cars pour assurer le suivi nécessaire sur les conditions de vie, les pratiques policières et les déplacements.
Devant moi, des policiers prennent aussi des images, l’un d’entre eux tient en main un drône.
A proximité, d’autres bénévoles s’organisent pour récupérer les affaires et le matériel avant qu’il ne soit enlevé et détruit. Une jeune femme qui participe au collectif Solidarité Migrants Wilson s’étonne qu’une policière vienne photographier la plaque d’immatriculation d’une ambulance. Elle connait le terrain et a participé à quelques maraudes. Elle se souvient de l’ampleur de la catastrophe sanitaire pendant le confinement, déplore le cycle infernal d’une politique d’urgence qui se répète et vise avant tout à faire place nette.
“Presque toutes les distributions se sont arrêtées la première semaine du confinement, tout le monde s’était retiré chez soi, seules l’Armée du salut et l’association Solidarité Migrants Wilson ont continué les distributions de nourriture dans le nord de Paris.”
Vers 6h00, les bénévoles du collectif se rendent sur le pont pour rejoindre l’autre rive. Sitôt que je me retrouve à l’écart, des policiers me demandent d’arrêter de filmer le campement désormais presque vide. Jusqu’à présent, seul un homme m’a prise à partie au cours de cette prise de vues. Je fais demi-tour.
Quelques journalistes sont présents. Il est 6h15, les opérations sont déjà bien avancées. La maire d’Aubervilliers déclare que la vigilance sera de mise dorénavant pour «ne pas laisser un nouveau camp se former, ne serait-ce que quelques tentes.»
Les cars se remplissent. J’entends que Dugny serait la destination.
Et à quelques centaines de mètres
Paris se lève sous une douce lumière d’été
Les clients attendent aux comptoirs
Les gens attendent sous les abribus
Au cours de la journée Ahmad me donne quelques nouvelles. Après avoir embarqué dans l’un des nombreux cars présents à Aubervilliers ce matin, il dort ce soir dans l’un des lieux réquisitionnés. Il me dit qu’il va bien.
Octobre 2020
Depuis l’évacuation du camp d’Aubervilliers, j’ai eu quelques échanges avec Ahmad qui va bien. Il est heureux d’avoir trouvé une chambre à proximité de Paris. Il trouve que le français est une langue difficile à apprendre et a commencé à suivre des cours une heure par jour.